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L'essor des spiritualités africaines

UNE QUETE D'EMANCIPATION

Vous l'aurez remarqué, depuis quelques temps l'actualité politique africaine est en ébullition : succession de putschs militaires en Afrique francophone, retrait militaire et diplomatique de la France, officialisation des langues africaines comme langues nationales en lieu et places des langues dites coloniales ... le constat est sans appel : L'Afrique a soif d’émancipation !

Les opinions publiques africaines sont vent debout contre les ingérences diplomatiques néocoloniales, le pillage économique des ressources naturelles et l'impérialisme culturel. Et les diasporas africaines à travers le monde se font l'écho de cette soif d'émancipation, exigeant des grandes puissances, la fin de leurs politiques étrangères de prédation sur le sol africain.


Cette volonté de se libérer de l'influence politique, économique et culturelle de l'occident, s'étend aujourd'hui de plus en plus au domaine religieux. L'emprise des religions importées et imposées en Afrique par la force, au détriment des religions animistes originelles fait de plus en plus débat. Et pour cause ! Les invasions religieuses et les conversions forcées ont été au cœur des stratégies de colonisation, d’asservissement et de destruction identitaire en Afrique. Comment pourrait-on dès lors aspirer à une émancipation totale en occultant le domaine du spirituel qui touche pourtant à ce que l'Homme a de plus intime ??

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C'est en tout cas le paradoxe auquel se trouvent confrontées les nouvelles générations d'africains et d'afro descendants qui sont de plus en plus nombreux à faire le choix d'un retour aux spiritualités africaines dans leur vie personnelle ET professionnelle ! Célébrités, activistes ou simples entrepreneurs, ils sont de plus en plus nombreux à arborer fièrement des emblèmes cultuels ancestraux et à se lancer dans la création de marques et entreprises commerciales reflétant leurs valeurs spirituelles.

 

Découvrez dans ce dossier

Comment de plus en plus de jeunes africains et afro descendants se reconnectent aux traditions animistes, et y puisent les fondements d’une toute nouvelle éthique économique.

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DECLIN ET RESISTANCE FACE AUX INVASIONS

Comme le rappelle le Docteur Jacob Olupona, professeur de religions indigènes africaines à la Harvard Divinity School et professeur d’études africaines et afro-américaines à la Faculté des arts et des sciences de Harvard, "le succès du christianisme et de l'islam sur le continent africain au cours des 100 dernières années a été extraordinaire, mais il s'est malheureusement fait au détriment des religions autochtones africaines".

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En effet, dans de nombreux pays africains, les religions traditionnelles ancestrales animistes, n’ont pas résisté à l’impact de la colonisation et de l’islamisation. Les missionnaires chrétiens et colonisateurs, s’employaient à convertir les populations locales au christianisme, par le biais de la coercition, des pressions sociales, ou de la violence, considérant les pratiques animistes comme des pratiques païennes et n’hésitant pas à confisquer ou détruire les objets rituels utilisés par les populations indigènes. Des méthodes de conversion forcée que l’on retrouve aussi avec l’expansion de l’Islam en Afrique. Tout ceci a conduit à la suppression, la marginalisation et la diabolisation des pratiques religieuses animistes, qui aujourd’hui encore font l’objet de nombreux préjugés et sont par ignorance fréquemment associés à de la sorcellerie ou à des pratiques occultes.

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Avec le temps, les changements socio-économiques, tels que l'urbanisation rapide et l'industrialisation, ont également conduit à la migration de populations depuis des zones rurales où les pratiques animistes étaient prédominantes vers des zones urbaines où d'autres influences religieuses étaient plus fortes ; tandis que l'introduction de systèmes éducatifs formels a à son tour contribué à un déclin des pratiques animistes. L’école dans sa forme moderne ayant souvent été un support de propagation du christianisme ou de l'islam, les jeunes générations ont progressivement abandonné les croyances traditionnelles au profit de ces religions plus institutionnalisées.

 

Mais il est important de noter que malgré ces pressions, de nombreuses traditions animistes persistent en Afrique. Certains groupes étant même parvenu à préserver et revitaliser leurs pratiques religieuses, souvent en les intégrant à un mode de vie plus moderne.

 

Récipiendaire de nombreuses distinctions académiques et bourses de recherche prestigieuses, le professeur Jacob Olupona a consacré sa vie à l’étude des religions indigènes africaines, et une grande partie de son travail est une tentative de fournir une compréhension plus complète de la complexité et de la richesse de la pensée et des pratiques autochtones africaines en les considérant dit-il, non pas comme un repoussoir ou comme un comparatif utile pour mieux comprendre les religions occidentales, mais comme un système de pensée et de croyance qui devrait être valorisé et compris pour ses propres idées et sa contribution aux religions mondiales.

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MAIS QU'EST-CE QUE L'ANIMISME EXACTEMENT ?

L'animisme est une croyance ou une perspective philosophique qui attribue une âme ou une essence vitale aux objets inanimés, aux phénomènes naturels et même aux éléments. Cela signifie essentiellement que, selon l'animisme, tout dans la nature, qu'il s'agisse d'arbres, de rochers, de rivières ou d'autres éléments, possède une forme de vie ou de conscience.

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Cette croyance est souvent associée à des sociétés traditionnelles ou à des cultures autochtones, où l'idée de vivacité et d'interconnexion entre tous les éléments de la nature est centrale. On retrouve l’animisme aussi bien dans le shintoïsme japonais que dans les croyances ancestrales amérindiennes. Mais l'animisme peut également être présent dans certaines formes de spiritualité contemporaine, où l'accent est mis sur la relation sacrée avec l'environnement, comme c’est le cas dans la spiritualité New Age, qui puise dans diverses traditions religieuses et philosophiques, y compris l'hindouisme, le bouddhisme, le chamanisme, la philosophie mystique, la métaphysique et d'autres enseignements ésotériques, pour permettre à ses adeptes de créer leur propre système de croyances.

L'Afrique est très riche en diversité culturelle et religieuse, et parmi les religions animistes traditionnelles du continent, certaines sont spécifiques à des groupes ethniques ou régions particulières.

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En voici quelques exemples :

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  1. Yoruba (Nigéria, Bénin) : Le Yoruba est un groupe ethnique présent au Nigeria, au Bénin et au Togo. La religion yoruba inclut le vaudou, qui implique le culte des ancêtres, des esprits de la nature (Orishas) et l'utilisation de divination.

  2. Santería (Cuba, Amérique latine) : Bien que la Santería ait des racines africaines, elle s'est développée dans les Amériques, en particulier à Cuba. Elle mélange des éléments de croyances yoruba de l’Afrique de l’Ouest avec des influences catholiques. 

  3. Vaudou (Vodou ou Voodoo ) (Haïti) : Le vaudou haïtien est une religion syncrétique qui combine des éléments des croyances africaines avec le catholicisme. Il est souvent associé à des pratiques rituelles, la vénération des ancêtres et l'influence des loas (esprits).

  4. Vaudou (Vodou ou Voodoo ) (Afrique) : Pratiqué principalement en Afrique de l'Ouest, en particulier au Bénin, au Togo et au Ghana, ainsi que dans certaines parties des Caraïbes. Le vaudou implique souvent le culte des ancêtres, des esprits de la nature et l'utilisation de divinités.

  5. Croyances traditionnelles ashanti (Ghana) : Les Ashanti du Ghana ont des croyances animistes qui impliquent le culte des ancêtres, des esprits de la nature et des divinités.

  6. Dinka (Soudan du Sud) : Les Dinka pratiquent une forme de religion animiste qui met l'accent sur la communication avec les ancêtres et les esprits, ainsi que sur le respect des forces de la nature.

  7. Croyances des peuples masaï : Les Masaï, un groupe ethnique en Afrique de l'Est, ont des croyances animistes qui impliquent une connexion étroite avec la nature et le bétail. Le bétail, en particulier, joue un rôle crucial dans leur système de croyances.

  8. Croyances des peuples d'Afrique de l'Ouest : Divers groupes ethniques d'Afrique de l'Ouest ont des systèmes de croyances animistes, attribuant des esprits et des pouvoirs à divers éléments naturels.

  9. Candomblé (Brésil) : Une religion brésilienne d'origine africaine, développée par les descendants d'esclaves provenant principalement de la région Yoruba du Nigeria. Le Candomblé inclut des rituels, des danses et des cérémonies dédiés aux orishas, qui sont des divinités associées à différents aspects de la vie.

  10. Dagara : Pratiqué par le peuple Dagara en Afrique de l'Ouest, le Dagara animisme implique le culte des ancêtres, des esprits de la nature et une connexion profonde avec les cycles naturels.

  11.  Dogon : Une communauté du Mali pratique une forme d'animisme, souvent centrée sur le culte des ancêtres et la vénération des esprits.

 

Toutes ces traditions religieuses varient considérablement au sein des groupes ethniques, et il existe de nombreuses autres croyances animistes sur le continent africain. Même si certaines religions animistes ont diminué en nombre de pratiquants, de nombreuses communautés conservent et préservent encore ces traditions qui continuent à coexister avec d'autres croyances dans de nombreuses régions du continent.

BIEN PLUS QU'UNE TENDANCE DE MODE

La vivacité du militantisme afro dans le monde (sous diverses sensibilités), sur fonds de revendication identitaire, a grandement contribué ces dernières années à la résurgence de ces pratiques religieuses ancestrales et leur expansion au-delà des frontières du continent africain.

 

En effet, à la faveur des profonds bouleversements politiques, économiques, sanitaires et sociaux, induits par la pandémie du covid 19, sans compter les guerres alimentées par les conflits religieux, les afro descendants du monde entier se tournent désormais sans complexe vers des systèmes de croyances qu’ils jugent plus en phase avec le monde actuel.

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Le 7ème art a également joué un rôle non négligeable dans la vulgarisation et la glamourisation de certains aspects des cosmologies africaines; avec des super productions historiques comme la saga Marvel Black Panther (fiction riche en références aux cultures et mythologies anciennes africaines), ou des films portant à l'écran le passé glorieux des grands empires précoloniaux.

Cet essor des spiritualités afro est également palpable à travers des tendances de modes visibles chez un bon nombre de célébrités noires qui n’hésitent plus à arborer fièrement des symboles de spiritualités africaines, qui hier encore auraient été considérés comme de vulgaires fétiches païens.

Phénomène encore marginal, il y a de ça quelques années, et cantonné à une petite communauté dite « woke »* le port de bijoux ou autres emblèmes des spiritualités africaines, s’est aujourd’hui largement démocratisé au sein d’une jeunesse afro descendante en quête de renouveau spirituel.

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Un attrait grandissant pour les spiritualités africaines qui impacte bien évidemmenle monde du business, car qui dit mode dit : ARGENT !

LE BOOM DE L'INDUSTRIE SPIRITUELLE AFRO

En février 2022, un documentaire de la CNBC (Consumer News and Business Channel - premier réseau d’information économique et financière du monde) intitulé « à la rencontre des entrepreneurs utilisant la spiritualité africaine pour créer leur business » faisait déjà état de cette très forte tendance dans la communauté afro américaine. Le documentaire dépeint le boom des entreprises inspirées par la spiritualité (spirituality-inspired businesses) en portrayant plusieurs femmes noires ayant trouvé une niche très rentable dans l’entrepreneuriat d’inspiration afro-spirituelle.

L’incertitude créée par la pandémie de coronavirus en 2020, les modifications des normes de travail afin de limiter les contaminations sur les lieux de travail, ainsi que la fermeture de nombreuses entreprises ont créé de l’anxiété et peur de l’avenir et ont poussé les gens à chercher de l’espoir et du réconfort dans la religion et la spiritualité, entrainant la croissance d’une industrie aujourd’hui estimée à 1 milliard de dollars ! Comme l’indique le documentaire, pour de nombreuses femmes noires l’essor spirituel actuel n’est pas seulement un moyen de se connecter à son soi supérieur, mais aussi un moyen de gagner de l’argent. Des bougies et cristaux aux pratiques métaphysiques comme les lectures de tarot, l’industrie du bien-être spirituel a connu une croissance significative. Le business psychique, par exemple, a atteint 2,2 milliards de dollars en 2019 et ce chiffre devrait atteindre 2,4 milliards d'ici 2026.

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Le documentaire de CNBC nous présente Anestasia, propriétaire de la boutique Urban Gurvi Mama, qui a fondé son entreprise en 2017 pour créer un espace sûr pour les femmes dans leur cheminement spirituel. Elle dit avoir vu des gens chercher à « retourner à leurs racines » au début de la pandémie. : « Depuis deux ans, il y a eu un afflux de personnes souhaitant revenir à leurs racines africaines. L’année dernière, j’ai aussi bien réussi à travailler à mon compte dans mon magasin qu’à travailler dans une entreprise américaine », dit-elle.

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Shantrelle Lewis est l’une des autres nombreuses femmes noires qui ont trouvé leur place entrepreneuriale dans la spiritualité africaine traditionnelle. La prêtre Lucumi Sango et co-fondatrice de SHOPPE BLACK a utilisé ses décennies de recherche sur les religions traditionnelles africaines pour créer le club de lecture BEAUCOUP HOODOO ATRs. « La résurgence de la spiritualité a créé un marché qui incite les gens à acheter des fournitures qui leur permettront de créer de la prospérité, de promouvoir la santé, d'amener l'amour et d'apporter toutes les bonnes choses qu'ils veulent attirer à eux en soutenant les gens qui leur ressemblent », confie-t-elle.

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On découvre avec ce reportage de la CNBC, que ce nouveau marché de la spiritualité afro, s'appuie sur des pratiques bien ancrées dans le quotidien des noirs américains :

« Selon Kiana Cox, associée de recherche au Pew Research Center, bien que la plupart des Noirs américains s'identifient comme chrétiens, ils ont un large éventail de pratiques et de croyances spirituelles qui vont au-delà du christianisme

Le rapport « Faith Among Black Americans » de Pew a posé 3 questions aux participants à l’enquête : Avez-vous prié sur un autel ou un sanctuaire ? Avez-vous consulté un divin ou un lecteur ? Et brûlez-vous des bougies, de l’encens ou de la sauge dans le cadre de votre pratique religieuse ou spirituelle ? 20% pour cent des Noirs américains déclarent avoir prié sur un autel/sanctuaire, tandis que 12 % déclarent avoir consulté un lecteur et utilisé des bougies, de l'encens ou de la sauge.

« Environ 30 % des Noirs déclarent croire que les prières adressées à leurs ancêtres peuvent les protéger », explique Cox.  Et environ 40 % des Noirs déclarent croire à la réincarnation. Ainsi, même si elles ne sont pas affiliées aux religions africaines, certaines de ces pratiques et croyances que nous pourrions associer aux religions non chrétiennes existent. »

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Ces tendances n'ont évidemment pas échappé, à la sphère africaine francophone, en partie aussi grâce aux réseaux sociaux qui ont abolis les frontières entre les communautés afro-américaines, africaines, antillaises ainsi que les diasporas d’Europe.

Les entrepreneurs qui dans leurs vies personnelles on fait le choix de ce cheminement vers les spiritualités africaines, le répercutent dans leur vie professionnelle, à travers le choix des activités auxquels ils se livrent, et la manière dont ils conduisent leurs business.

En Belgique Momi M’BUZE activiste panafricain, écrivain, et entrepreneur congolais, définit sa spiritualité comme une connaissance, une compréhension et pratique de vie en harmonie et respect avec le vivant. Car tout ce qui vit possède une part du divin.

 

Les activités d’agro business qu’il mène sur sa terre natale, le Congo Kinshasa, procèdent également d’une volonté assumée d’investir dans la terre (nourricière) plutôt que dans les mines (très convoitées de la RDC) ou même dans l’immobilier nous confie-t-il.

 

Auteur d'Epic fantasy et Science-fiction d'anticipation africaine, il enseigne également aux plus jeunes, l’histoire de l’Afrique, d'un point de vue afro centré, dans un souci de transmission aux futures générations ; la transmission étant l’une des valeurs fondamentales de l’animisme.

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PORTRAITS 

Aux Antilles, l’activiste martiniquaise Jay Asani, est également entrepreneur dans le domaine de la bijouterie d’inspiration afro-spirituelle. De son vrai nom Jessye, elle s’est rebaptisée Asani (rebelle en swahili) lorsqu’elle a commencé à se pencher sur ses racines africaines.

 

La jeune martiniquaise très engagée dans la lutte contre la spoliation économique par les békés et l’empoisonnement des populations antillaises au chlordécone, lie son militantisme économique à sa spiritualité et son lien à la nature. Elle encourage les martiniquais à une prise de conscience dans leur mode de consommation, en valorisant la production locale et bio martiniquaise.

 

Créatrice par ailleurs, de la marque de bijoux, Fanm Ata, sa marque commercialise, des bin-bins (perles de tailles) découverts lors d’un séjour au Sénégal et qu’elle considère non pas comme de simples bijoux de séduction, mais avant tout comme des ornements d’empouvoirement. « C’est un bijou que les femmes égyptiennes portaient déjà à l’époque. C’est un véritable bijou ancestral que j’ai souhaité réintroduire dans la culture martiniquaise, réintroduire cette culture de l’Afrique de l’ouest dont nous sommes majoritairement originaires » affirme-t-elle.

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Ainsi, ce que l’on voit poindre au bout des différents portraits d’entrepreneurs que nous venons d’esquisser, ce sont les prémices d’une véritable éthique économique et déontologie des affaires, qui guide et conditionne les choix des acteurs économiques de spiritualité africaine.

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Plus significativement encore, on note une véritable tendance de fonds à la revalorisation et la démystification des philosophies animistes trop longtemps caricaturées et qui apparaissent aujourd’hui plus que pertinentes dans un monde en proie à de violents bouleversements écologiques, politiques et économiques.

UNE PHILOPSOPHIE D’AVENIR ENTRE PACIFISME ET ECOLOGIE

Gaston-Paul Effa, écrivain à succès français d’origine camerounaise, et professeur de philosophie élevé par un père féticheur dans la culture animiste, envisage celle-ci comme une nouvelle façon d’être au monde.

Dans son ouvrage « Le Dieu perdu dans l’herbe », il décrit l’animisme comme une contre philosophie qui invite à une compréhension neuve de la nature et sans doute aussi un art de vivre qui, face à un monde agité, nous apprend à mieux habiter le monde. Et si une nouvelle révolution était en marche ? Et si, contrairement à l'idée reçue, c'était la Nature qui humanisait l'Homme ? s’interroge-t-il.

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C’est en tout cas ce que semble également penser le célèbre activiste panafricaniste Kemi Seba, qui dans une récente interview, comparait le rapport de communion des africains à la nature, avec celui que les occidentaux ont avec elle, soulignant que dans une ère post covid secouée par des crises sanitaires à répétition, les peuples qui sont plus attachés à la nature, qui ont l’habitude de se soigner avec les plantes et qui sont plus respectueux de la nature, ont selon lui plus de chance de s’en sortir.

 

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Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si en 1982, c’est un africain, un Zaïrois, feu Gérard KAMANDA Wa KAMANDA (Alors représentant permanent du Zaïre auprès des nations Unies à New York) qui fit adopter par l’assemblée générale de l’ONU, à une très forte majorité, la CHARTE MONDIALE DE LA NATURE, premier code de conduite à l’échelle planétaire, pour la protection de la nature, et la sauvegarde des écosystèmes, afin de prévenir les atteintes graves à la qualité de vie sur terre.

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Ce texte novateur et fondamental, de portée mondiale, préfigurera dix ans avant la Conférence de Rio, la notion de développement soutenable, et sera également le premier d’une telle valeur morale à introduire explicitement la notion de « générations futures » et à proclamer des «  principes de conservation, au regard desquels tout acte de l’homme affectant la nature doit être guidé et jugé  ».

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L’influence exercée par feu Me KAMANDA WA KAMANDA dans l’élaboration et l’adoption de ce texte tient sans conteste à son attachement profond aux valeurs spirituelles animistes qu’il conjuguait avec son éducation jésuite. Il considérait en effet que la recherche impérieuse d’un développement intégral des nations africaines, devait aller de pair avec la quête spirituelle de ressourcement intérieur.

 

Brillant avocat, homme politique et fonctionnaire international de haut rang, il fut par ailleurs président de l’Institut des Peuples Noirs, créé en 1985 à Ouagadougou à l’Initiative de l'icone panafricaine Thomas Sankara et fut également l'artisan de la proclamation officielle de Patrice Emery Lumumba en tant que héros national du Zaïre, exigence qu'il réussit à imposer au président Mobutu comme condition pour intégrer son cabinet en tant que conseiller juridique.

 

Visionnaire, KAMANDA WA KAMANDA était déjà convaincu en 2006, que "la volonté d'immersion aux origines, aux sources de la spiritualité libératrice" de plus en plus palpable chez les peuples africains, était un acte fondateur annonçant des changements majeurs d'ordre politique, étique ou moral, social et culturel sans oublier l'économique, pour la renaissance et la vraie reconnaissance de son pays et de l'Afrique. 

Il est clair que les valeurs animistes sont porteuses d’une modernité qui fait sens dans le monde en restructuration que nous connaissons aujourd’hui. Mais encore faut-il que les africains eux-mêmes, parviennent à dépasser les préjugés coloniaux qui cantonnent l’animisme à une religion archaïque ou encore à l’idolâtrie. Alors-peut -être pourront-ils puiser dans cette philosophie, les fondements d’une véritable renaissance économique Africaine, de la même façon que le puritanisme protestant et le quakerisme ont contribué à la fondation des États-Unis et à leur émergence comme puissance économique.

UNE NOUVELLE ETHIQUE ECONOMIQUE POUR LA RENAISSANCE AFRICAINE ? 

En octobre 2023, s'est tenu à Paris, le salon Business Africa, qui est n’est autre que le plus grand rassemblement d’entrepreneurs africains et afro descendants en Europe.

Pour la première fois, l’évènement qui en était à sa troisième édition, incluait une série de conférences abordant le lien entre religion et business. Des représentants et adeptes des religions chrétiennes et musulmanes y étaient conviés pour évoqués l’impact de leur foi dans leurs activités.

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Etonnamment l’animisme était le grand absent de ce rendez-vous entrepreneurial, malgré l’intérêt grandissant que lui portent les communautés afro descendantes et l’écosystème entrepreneurial très porteur qu’il fait émerger. N’y- a-t-il pas là un certain paradoxe à prôner un entrepreneuriat engagé au service de l’émancipation économique des communautés noires, tout en laissant soigneusement de côté la question de leurs émancipation spirituelle ?

La question est d’autant plus pertinente que le libéralisme économique qui régit le modèle entrepreneurial que nous connaissons actuellement, a pour fondements même, les conceptions religieuses protestantes des premiers colons américains et des Pères fondateurs des Etats-Unis.

Le sociologue allemand Max Weber dans son ouvrage L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme (1904–1905) rappelait les liens étroits entre protestantisme et le capitalisme tel qu’il s’est développé aux États-Unis. Une philosophie centrée sur le rôle essentiel joué par le travail personnel d’une part, et par sa juste récompense d’autre part. La notion de métier associée à celle de vocation constitue le socle d’une éthique sociale, selon laquelle le bon chrétien sert Dieu en exerçant le métier auquel il a été appelé ; si son travail lui apporte des richesses, il doit considérer celles-ci comme un signe d’élection, comme la manifestation ici-bas de la grâce divine.

Or nous constatons aujourd’hui à quel point cette philosophie a conduit à des dérives liées à une volonté continuelle d’amassement des richesses, créant une économie de prédation, et de surexploitation de l’homme et des ressources terrestres.

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Comme le rappelle Séverine Kodjo-Grandvaux, docteure en philosophie et auteure de Philosophies africaines (Présence africaine,2013) « la cosmologie occidentale moderne a transformé la nature en ressources et en matière inerte à disposition des humains, » La colonisation s’étant même justifiée juridiquement par la « mise en valeur » de terres jugées insuffisamment exploitées par les populations locales rappelle-t-elle dans une interview accordée au Monde. Pour la philosophe, « vouloir une révolution écologique suppose alors que nous soyons prêts à engager une rupture épistémique avec ce qui a fondé ­notre modernité et que nous acceptions de nous défaire d’une colonialité persistante dans notre rapport à la Terre et aux autres. »

Face à cela, n’est-il pas temps pour les africains et afro descendants, de puiser dans leur patrimoine culturel et religieux ancestral, pour poser les bases d’une nouvelle éthique économique, en rupture avec la course effrénée à la rentabilité, le pillage aveugle des ressources naturelles africaines et la surexploitation des masses précaires ?

 

Les valeurs animistes, centrées sur la connexion spirituelle avec la nature, les ancêtres et les éléments de la vie, peuvent potentiellement encourager une économie plus éthique qui serait basée sur :

  • Le respect de l'environnement : La sacralisation de la nature dans les croyances animistes peut encourager des pratiques économiques durables, la protection des ressources naturelles et la réduction de l'impact environnemental des activités économiques.

  • Des pratiques agricoles durables : Les communautés animistes qui sont souvent liées à des modes de vie agricoles peuvent adopter des pratiques agricoles respectueuses de l'environnement. Cela pourrait inclure l'agroécologie, la rotation des cultures et d'autres méthodes durables.

  • Le commerce éthique : Les croyances animistes peuvent influencer les choix de commerce en accordant une importance particulière à la provenance des produits et à la manière dont ils sont obtenus. Cela pourrait encourager le commerce éthique et équitable, en mettant en avant des relations commerciales respectueuses.

  • La valorisation de la communauté : L’animisme mettant souvent l'accent sur la communauté et les relations interpersonnelles, cela pourrait favoriser des modèles économiques axés sur la coopération, le partage des ressources et le soutien mutuel au sein de la communauté.

  • Transmission des savoirs traditionnels : La protection et la transmission des connaissances traditionnelles liées à l'animisme peuvent être particulièrement pertinente dans le domaine de la santé par exemple, en encourageant la lutte contre la biopiraterie et une meilleure régulation de l’industrie pharmaceutique qui depuis des années, se livre à un pillage en règle des connaissances médicinales traditionnelles des populations autochtones en Afrique et en Amérique latine.

 

Nous le voyons donc bien, il est possible de puiser dans les spiritualités africaines, les fondements d'une nouvelle éthique économique, moteur de l'émergence économique de l'Afrique et de ses diasporas à travers le monde.

 

Mais une partie des communautés africaines, semble toujours habitée par les fantasmes coloniaux associant animisme et sorcellerie ; alors même que d’autres communautés plus ouvertes à un certain syncrétisme religieux, adoptent sans complexe ces spiritualités qu’elles jugent plus en accord avec le monde d’aujourd’hui et ses évolutions. La spiritualité New Age en particulier, a par son éclectisme, préparé le terrain à une meilleure acceptation des spiritualités africaines par d’autres communautés. Attention donc à ne pas crier demain à l’appropriation culturelle de nos religions ancestrales par d’autres communautés, quand nous sommes parfois les premiers à les mépriser…

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