Hommes Noirs & Santé Mentale
LE REJET DU " RENOI FRAGILE "
Pourquoi les hommes noirs sont-ils si souvent moqués lorsqu’ils expriment ou ont le malheur de laisser transparaître la moindre fragilité émotionnelle ?
C’est la question que l’on peut se poser en observant le déferlement de commentaires moqueurs envers la star du rap Kanye West, récemment divorcé, et qui à plusieurs reprises, a publiquement fait part de son désarroi quant à sa rupture avec Kim Kardashian. Le rappeur a notamment multiplié les tweets condamnant la manière dont ses enfants étaient exposés sur le net et s’est également montré inquiet quant au comportement de l’actuel compagnon de son ex-femme, Pete Davidson qu’il juge trop malsain et déséquilibré pour rencontrer ses enfants.
Une série de tweets qui reflète le désarroi d’un homme sentimentalement blessé et dont on sait qu’il souffre par ailleurs de troubles bipolaires. Mais curieusement, au lieu de lui attirer la sympathie des internautes, les posts du rappeur font rire et sont détournés en mèmes qui font le tour de la toile.
Bien avant lui des vidéos du chanteur Tyrese en larmes, n’en pouvant plus de ne pas voir sa fille depuis 2 ans, ou encore de l’acteur Will Smith découvrant en direct des faits d’infidélité de sa femme, avaient également déclenché l’hilarité des internautes des semaines durant.
Ce manque de compassion interroge forcément ! Le concept de masculinité toxique qui concerne tous les hommes quels que soient leur couleur de peau, est de toute évidence encore plus ravageur au sein des communautés noires où la problématique de la santé mentale reste très largement taboue et commence à peine à être prise en compte sérieusement.
Aux Etats-Unis par exemple l’actrice, productrice et auteure Taraji P.Henson consacre désormais un show hebdomadaire à cette épineuse question de la santé mentale dans la communauté noire, en permettant à diverses célébrités de partager leurs expériences douloureuses.
Après avoir elle-même traversé une dépression à la mort de son père assassiné, elle a décidé de créer La Fondation Boris Lawrence Henson, entièrement dédiée à la problématique de la santé mentale dans la communauté afro-américaine. Une fondation pionnière qui fournit entre autres des ressources et un soutien en santé mentale, offre des bourses aux étudiants noirs qui cherchent une carrière dans le domaine de la santé mentale ; et étend les services de santé mentale aux jeunes dans les écoles et les communautés mal desservies.
En France c’est l’ex-footballeur international Patrice Evra, qui a crevé l’abcès dans son autobiographie en s’ouvrant au sujet de violences sexuelles subies étant enfant et n’a pas hésité à dénoncer cette masculinité toxique qui l’a réduit au silence toutes ces années et freiné sa guérison mentale, tout en créant chez lui des comportements violents et agressifs, qui ont conduit à le stigmatiser.
L’entrepreneur et activiste panafricain Chaka Bars, connu pour ses actions humanitaires en particulier dans l’Est de la RDC, déplorait quant à lui, en ces termes , cette absence d’empathie envers les hommes noirs célèbres qui affichent publiquement leur détresse psychologique : « […] Et là on parle de millionnaires, d’hommes qui sont hyper célèbres, imaginez alors ce que ça donne pour les gars normaux…Nous ne sommes pas autorisés à être simplement humains, nous devons être toujours être hyper masculinisés et émotionnellement dysfonctionnels. La seule émotion qui nous est permise est la colère et le seul mode d’expression la violence ».
Si nous voulons que les hommes noirs soient davantage en confiance lorsqu’ il s’agit de partager leurs émotions, il serait peut-être bon de cesser d’en faire une affaire culturelle et de commencer à bannir des expressions telle que « renoi fragile » qui illustrent à merveille l’injonction de solidité à toute épreuve qui pèse sur les épaules des hommes noirs qui restent perçus dans l’imaginaire collectif fantasmé et emprunt de préjugés négrophobes, comme l’incarnation de la virilité, de la puissance physique, voire d’une certaine bestialité.